Crise de l’hôpital, faillite d’humanité

Les candidats désormais déclarés ou désignés, le paysage est en place. Pourtant tous ou presque s’emploient à ignorer l’enjeu fondamental qui s’impose avec une évidence bruyante : l’hôpital public est au bord de la rupture, en son sein des lits restent fermés faute de bras, ces bras trop épuisés, trop peu considérés, trop mal rémunérés. Dans les couloirs des hôpitaux, une vague nouvelle vient percuter des soignants fatigués et incrédules de voir arriver ceux que l’on sait pourtant protéger, alors que se lève déjà un Omicron incertain mais inquiétant. Combien, parmi les médecins, les infirmières, les aides-soignants que l’on applaudissait hier, seront encore là demain ?

L’épuisement de l’hôpital pèsera sur tous, jusqu’au bout, depuis l’opération bénigne jusqu’au terme de la vie. Ces dernières semaines, faute d’infirmières, des unités de soins palliatifs ont dû fermer. Est-ce l’avenir que nous nous préparons ?

Or, dans le même temps, s’agite dans le débat une proposition inquiétante par sa trop grande commodité : l’euthanasie. Elle n’est certes pas consciemment proposée pour remédier aux faillites de l’hôpital, mais il ne peut être nié qu’elle s’imposera si l’hôpital ne peut plus nous apporter les soins requis. Si vous n’avez plus ni le temps ni les bras pour prendre soin de ceux qui finissent leur vie, leur épuisement et le vôtre donneront à l’injection létale des allures de remède.

Aujourd’hui, des femmes célèbres se présentent avec leurs deuils, pour militer en faveur de l’euthanasie. Françoise Fabian raconte la mort de son père, que l’on peut penser peu récente, assumant au demeurant une euthanasie quand elle n’a fait que mettre un terme à un acharnement thérapeutique, aujourd’hui clairement proscrit. Line Renaud évoque Loulou Gasté, mort il y a 27 ans. Le premier plan de lutte contre la douleur n’avait pas été adopté et les soins palliatifs, reconnus par une loi de 1999, n’existaient pour ainsi dire pas. Elles nous parlent d’un temps dépassé, aux rares mais scandaleuses persistances.

C’est à ce temps ancien où, par ignorance, on posait aussi des cocktails lytiques, que la faillite de l’hôpital public nous renverra. Notre hôpital s’affaisse, ne garantit plus le soin, et pourtant les uns n’évoquent que suppression de postes quand les autres, dits « progressistes », veulent nous faire croire que ce retour vers le passé hospitalier serait dans le sens de l’Histoire. Il faut sauver l’hôpital public, et notre humanité avec lui.

Photo by Charles Deluvio on Unsplash

2 commentaires

  • Je commence, vous me pardonnerez par « Je », ce qui ne se fait pas. Tant pis.
    Donc, je suis médecin spécialiste. Aujourd’hui je poursuis mon activité médicale dans un contexte humanitaire parce que ma spécialité n’est pas très représentée dans les pays où le système de santé est encore peu développé. Ce qui me conduit à lire votre billet aussi avec encore plus de recul.
    Comme tout médecin je suis très redevable à l’enseignement qui est dispensé dans les facultés de médecine adossées à un CHU. C’est un privilège rare de pouvoir bénéficier en France de cet appui de la pratique médicale au lit du malade et de l’enseignement. A vrai dire les choses ont bien changé avec les méthodes audio-visuelles actuelles qui ont relégué l’ennuyeux cours magistral en amphi où l’étudiant soit fait l’amphi-buissonnier soit est emporté dans le calme anesthésiant d’un discours professoral ennuyeux.
    Les premières lignes de votre billet, si elles disent des choses vraies ne disent pas tout et n’étant pas du milieu il est vrai que vous ne voyez pas les choses comme nous les voyons, de l’intérieur.
    « L’Hôpital public est au bord de la rupture ». J’ai travaillé de nombreuses années pour l’hôpital public et la carrière hospitalière n’étant pas possible pour tout le monde car les postes sont limités comme beaucoup de médecins le passage dans le privé est l’issue de sortie.
    Je n’aime pas beaucoup cette schizophrénie qui sépare le médical public du médical privé. Nous avons tous fait nos études dans les CHU et nous sommes très reconnaissants de la formation que nous avons reçue mais dans la pratique professionnelle il n’y a pas de « maladie publique » et de « maladie privé ». La pathologie est la même dans le public et dans le privé. En ce qui me concerne exerçant dans un territoire hors CHU mon activité médicale se déroulait en partie dans le privé et en partie dans le public.
    Cela étant si « l’Hôpital public est au bord de la rupture » ce qui est visé c’est la gestion de l’Hôpital et plus généralement de la santé publique puisque, in fine, exercice privé ou publique, nous sommes tous englobés dans le package d’un système de « santé publique ». C’est le bémol que je tenais à apporter à l’expression « L’Hôpital public est au bord de la rupture ».
    Et j’ai bien compris que votre entrée en matière était pour introduire la situation dramatique … je dirais tragique, des patients en fin de vie.
    Mon exercice professionnel de spécialiste m’a conduit à connaître l’évolution vers les soins palliatifs et vous me permettrez de préciser que même si ces soins ne sont entrés par la porte législative qu’en 1999, nous n’avons pas attendu 1999 pour mettre en pratique la réalité des soins palliatifs. Vous qui êtes juristes vous savez bien qu’il y d’abord la réalité, les faits et ensuite la législation qui s’applique. Nous n’étions pas en retard ou pour être plus exact nous avons démarré sans doute plus tard qu’en pays anglo-saxons. Il est vrai mais c’est une réalité que j’ai vécue, le traitement moderne de la douleur est arrivé après que nous avions mieux compris ce qu’elle était. Les médecins de ma génération savent bien que l’usage des morphiniques était plus que réglementés, presque tabou jusqu’à ce que l’on comprenne mieux les mécanismes de la douleur. Je n’ai pour ma part jamais accepté l’usage des « cocktails lytiques » que des confrères prescrivaient, mais pas comme vous le dîtes « par ignorance ». Mais il s’agit là d’un positionnement éthique. Aujourd’hui on appelle la méthode « sédation profonde… » et tout le monde sait bien que la suite est, dans un délai imprévisible mais certain, le décès. On change les mots mais la réalité reste la même.
    Ensuite je tiens quand même à préciser que nous, médecins ne sommes pas des devins ni n’avons toujours la solution à tous les problèmes. Nous avons des protocoles mais nous devons les appliquer avec intelligence et compétence et surtout sans oublier notre conscience, une conscience dont on voudrait, dans certaines conditions nous priver par une loi pour nous contraindre.
    Alors, vous voyez bien que cette opposition public vs privé n’a pas grand sens même s’il est vrai que, j’ai, comme vous, conscience que la balle est dans le camp de ceux qui gèrent notre système de « Santé publique ». En l’occurrence je ne suis pas optimiste parce que, ce qui me préoccupe plus que tout, c’est le respect de l’éthique dont la marge de manœuvre se réduit de plus en plus. Depuis ma première inscription en faculté de médecine jusqu’à aujourd’hui nous avons tout perdu sur ce point.

  • Merci beaucoup pour cet article et votre engagement, c’est intéressant. Surtout lorsqu’il s’agit d’un avis extérieur au monde médical.

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