Qu’on repolitise !

Des mois plus tôt, certains avaient encore préparé leurs sujets de préoccupation, en vue du grand moment démocratique tant vanté, dans l’espoir qu’ils deviennent des « enjeux de la présidentielle ». La séquence électorale désormais achevée, qui peut seulement en citer un enjeu ? Dramatiquement, même le dérèglement climatique, qui a pourtant  forcé la porte de l’entre-deux-tours, a finalement été négligé. Interrogés sur leur silence, Ensemble comme la Nupes ont expliqué que les électeurs fondaient leur décision sur les préoccupations immédiates d’inflation et de pouvoir d’achat. Le pouvoir d’achat aura donc eu aussi raison d’un débat sur la Santé après le Covid, ou la Défense malgré la guerre en Ukraine. Traiter les enjeux capitaux ne serait pas politiquement efficace.

Laissez-moi passer du coq à l’âne et prendre le seul exemple de nos prisons. Le 16 juin dernier, au congrès de la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs, une séance plénière était consacrée à la fin de vie et à l’exclusion. Danielle Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, y poussait (encore) un cri de colère, visant spécialement la prison de Gradignan. A ses côtés, Luc Chouchkaieff, médecin général inspecteur de santé publique, nous désignait un prisonnier de 80 ans. Affecté d’une démence, il a oublié depuis longtemps la raison de sa présence en prison. Par manque d’aide-soignants, il reste bien souvent trois jours dans des protections sales. Un jeune prisonnier, lui, a fracassé l’entièreté de sa cellule, et maculé le sol de ses déjections, l’homme ayant obstrué les toilettes. Parce que sa place n’est manifestement pas en prison, un psychiatre devait l’examiner : le prisonnier, trop agité, ne l’a pas été. Il est resté en prison. Dans ces deux cas, et dans tant d’autres, la France piétine la dignité humaine. Mais qui s’avisera jamais d’en faire un débat électoral ?

Ce scrutin étourdissant pourrait avoir une leçon recevable : la dépolitisation macronienne, le renoncement à faire campagne, l’inactivation du Parlement, ont conduit à l’échec. La tactique ne mène à rien sans politique.  Plutôt que de tenir obligeamment son rôle dans un théâtre d’ombres et donner sa voix à quiconque, le citoyen a majoritairement préféré la garder et la porter lui-même. Ou, lorsqu’il l’a exprimée, la confier à ceux qui portent un message politique fort. Alors, maintenant, faisons de la politique !

Chronique du 21 juin 2022

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