Quand le media nourrit la bête

C’est entendu : les médias luttent contre la résurgence de la bête immonde. C’est l’intention, affichée. Mais le media qui fait l’ange nourrit aussi la bête. Comment ignorer que les logiques qui prévalent, sans concertation ni parfois cohérence, l’alimentent généreusement ? Prenez les interventions récentes de deux chroniqueuses. L’une, Julie Graziani, y faisait part d’une insensibilité marquée à la situation d’une mère isolée. L’autre, Zineb El Razoui, invitait la police à tirer à balles réelles dans les banlieues.

Et la machine s’enflamme. Les réseaux sociaux explosent en autant d’indignations que de candidats à faire reluire leur petite vertu sur le dos des fautives. Fautives, elles le sont mais n’oublions pas ceci : depuis des mois, les plateaux de débatteurs se sont multipliés sur les télés et dans les radios dans une concurrence entre chaînes, mais encore avec les réseaux sociaux, pour capter notre attention, notre indignation, notre audience. 

La table est dressée pour l’affrontement. On y invite au mieux des éditorialistes, au pire cette engeance sotte dont le seul nom de polémiste trahit la finalité ultime. Provoquer, scandaliser, c’est sa raison d’être, et si elle s’y brûle parfois, c’est son risque assumé – puisqu’ils sont là pour ça, puisque le « bon client » est celui qui assène la position tranchée, sommaire, expéditive qui fera l’indignation, le buzz, la recette publicitaire et dont le propos scandaleux ne l’écartera pas des plateaux, tant il est plus rentable de faire réagir que de faire comprendre. Pour chacun, la leçon est claire : pour vous faire entendre, choisissez l’outrance. Et à la fin, on sait à qui elle profite, et ce n’est pas au pays.

Clément Viktorovitch, un autre chroniqueur, revenait sur l’intervention de Julie Graziani, pour l’imputer à une stratégie assumée, visant à élargir la « fenêtre d’Overton » – le spectre des opinions dicibles dans les médias sans être discrédité – dans le but de faire passer pour modérées des idées d’extrême-droite aujourd’hui réprouvées. L’idée n’est pas dépourvue de toute réalité. Mais l’analyse doit être complétée, et les médias doivent assumer leur responsabilité dans leur propension patente à jeter par anticipation le discrédit sur les idées divergentes, mais pondérées. Ils tiennent si étroitement fermée ladite fenêtre qu’ils ne laissent d’autre possibilité d’entrer que par effraction. Et à la fin, c’est Trump qui gagne. Lui, ou tout autre politique peroxydé.

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