Pouvoir de mémoire

C’est une mémoire d’un autre temps et d’un autre lieu, l’un de ces évènements qui se sont déroulés avant… tout cela, il y a seulement un an, dans ce « monde d’avant ». Depuis, ce n’est pas une page qui s’est tournée, c’est un rideau qui est tombé. Il n’y a pourtant pas si longtemps qu’à 7.000 kilomètres de nous, à l’âge où l’on ne devrait être qu’insouciant, un jeune garçon a pris le risque insensé, mêlé d’ambition, d’espoir et de rêve enfantin, de s’introduire dans un aéroport et se glisser dans le train d’atterrissage d’un avion. Laurent-Barthélémy Ani Guibahi a perdu la vie en plein vol, entre l’Afrique et l’Europe, à 14 ans. La nôtre a pris un cours déroutant, reléguant loin de notre esprit ce qui ne relève pas du virus. Qu’avons-nous fait de notre promesse de nous souvenir ?

Ils étaient déjà peu nombreux à s’être occupés de ce petit corps froid, promis au carré des indigents. Le 20 février 2020, une vingtaine de lycéens et d’étudiants de la communauté de Sant’Egidio étaient venus pour la levée de son corps. Ils étaient là, admirables de dignité, dans ce lieu indécent de tristesse qu’est la zone de sortie de l’institut médico-légal de Paris, pour accompagner de leurs prières, de leurs chants, de leur amitié, le père de Laurent Barthélémy, Marius Ani. Présente à Abidjan et particulièrement dans le quartier populaire de Yopougon, Sant’Egidio a aussi pu accueillir Laurent Barthélémy à son retour à Abidjan  et  continuer de soutenir son père. Elle a travaillé à la réinsertion des jeunes des rues, eux qui sont le plus tentés par les traversées les plus désespérées, par le désert, par la mer ou par les airs. Elle a multiplié les rencontres et les conférences pour parler aux jeunes d’un avenir possible en Côte d’Ivoire, maintenu son engagement, tenu pour nous notre promesse.

Seuls, nous ne pouvons bien souvent que nous contenter d’une émotion passagère, juste mais impuissante compassion. Ensemble, nous pouvons conjurer l’oubli, le temps qui passe et 7.000 kilomètres. En participant à sa campagne toutpeutchanger.fr, destinée à soutenir concrètement les jeunes de Yopougon, nous pouvons peut-être donner un peu de sens à l’insensé, répondre à l’appel muet de Laurent-Barthélémy et transfigurer son rêve d’exil fauché en espérance semée en terre d’Afrique. C’est encore peu de choses mais nous le devons, je crois, à ce garçon au visage grave, mort d’avoir voulu nous rejoindre.

Photo : Sant’Egidio

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Un commentaire

  • Merci beaucoup pour cet article. En ces temps troublés, ces mots nous invitent à nous décentrer de nos maux réels ou figurés. Puisse Dieu nous aider à voir en tout Autre notre frère.

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