Petit enfant du Soudan

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Le Soudan, terre oubliée. C’est le matin, et par la fenêtre de facebook, entre chez moi l’enfant du Soudan. Du Soudan délaissé. Comme si nous avions pris pour acquis que ce pays n’est pas de ce monde, qu’il est un no man’s land abandonné au Diable, à la barbarie la plus immonde, un chaudron de l’enfer. Plus personne pour y croire, pour hurler que cela doit s’arrêter, plus personne, tous transis dans nos angoisses identitaires, le discrédit de nos interventions militaires extérieures aux résultats douteux. Comment est-il possible que nous soyons les habitants d’une même Terre, contemporains d’un même temps, quand mes enfants ont l’amour de leurs parents, la paix, le bonheur, la piscine gonflable dans le jardin et que ces enfants-là, ces saints innocents, sont atrocement mutilés ?

Tant pis, je sais les réactions que je vais recevoir, je peux les écrire. Je ne veux pas en débattre, je ne vais pas en débattre. Débattre avec toi, qui m’expliqueras que j’écris pour ma bonne conscience, avec toi qui me sortiras du Benoît frelaté[1] pour apaiser la tienne, que tu as mauvaise. Toi qui me jetteras de les prendre chez moi. Toi qui me soutiendras que nous faisons assez, toi qui me diras que « c’est bien beau mais on fait quoi ? ». Parce que non, je ne sais pas quoi faire mais je ne crois toujours pas que ce soit une raison pour se taire.

Chemin faisant, je ne peux m’empêcher de penser que, quand un Soudanais essaie d’échapper à cet enfer, tente par instinct de survie de rejoindre nos pays, des Français qui dans le même temps « songent à quitter la France à cause des impôts et de la paperasserie », pensent avant quelque autre sentiment qu’on ne peut accueillir toute la misère du monde, que nous n’avons pas les moyens d’accepter des étrangers, des réfugiés. Je ne sais pas ce qu’il en est, les moyens que nous avons ou que nous n’avons pas, je sais que « les accueillir tous » n’a aucun sens, je respecte l’identité de mon pays, je l’aime, avec ses traditions, son héritage, ses paysages et ses pierres taillées, je les vis dans mes tripes, j’ai parfaitement conscience de la nécessité pragmatique de préserver un équilibre social… et non, les derniers attentats ne m’ont pas échappé, qui viennent jeter du sel sur nos angoisses à vif.

Mais je ne crois pas que je pourrais me présenter devant mon Créateur sans crainte d’être jeté à mon tour dans un enfer similaire si je me permettais de penser et, pire, de dire que nous ne pouvons décemment pas accueillir cette misère du monde, en sachant qu’au Soudan on émascule des enfants qu’on laisse crever exsangues, on viole des fillettes qu’on assassine ensuite. Non, je ne sais pas quoi faire. Mais oui, comme le disait le pape : « qui a pleuré aujourd’hui ?« . Qui a pleuré pour les enfants du Soudan, qui a pleuré pour leurs parents ? Commencer par les pleurs, encore. Lever les yeux vers Dieu, prier, crier – silencieusement. Et avoir au moins, quand m’étreint malgré tout l’angoisse de perdre mon confort, la décence de la fermer.

  1. parce que oui, on peut frelater la vérité []