Macron, donne la parole au peuple !

Chronique rédigée avant l’intervention d’Emmanuel Macron, publiée le lendemain, et augmentée ci-dessous.


Quinze mois seulement après leur élection, des députés à peine entrés en politique sont contestés, parfois agressés. Toute figure des « gilets jaunes » qui semble vouloir parler au nom des autres est disqualifiée, voire menacée de mort. Sur leurs groupes Facebook règne un refus farouche de toute désignation d’un quelconque « représentant » tandis qu’émerge une revendication de fond : celle d’un Ric, un référendum d’initiative citoyenne. Ajoutons que partis et syndicats sont laminés : la crise de la représentativité est criante.

Ces temps me renvoient 13 ans en arrière lorsque, constatant que le débat sur le traité constitutionnel européen se déroulait sur le Web dans une opposition totale à ce que le milieu médiatique laissait paraître, j’avais créé mon blog. Une figure de l’époque resurgit d’ailleurs : Étienne Chouard, dont les internautes buvaient les commentaires du traité. Ses développements juridiques étaient frappés au coin du non-sens mais lui, au moins, « parlait comme » eux. Aujourd’hui, il est accueilli en héros sur des groupes Facebook qui épousent très largement le complotisme dans lequel il s’est complu depuis. Ce complotisme traduit la défiance, absolue jusqu’à l’absurde, de tout ce qui paraît officiel – une défiance qui puise à la conviction populaire d’une déconnexion et d’une trahison des élites.

Depuis 2005, les réseaux sociaux ont remplacé les blogs et les forums. Ils y ont gagné une capacité d’organisation, parallèle et horizontale. Mais qu’ont fait les pouvoirs publics, eux, depuis 13 ans, sinon, après un frisson passager, reprendre le cours ordinaire de la politique ?

Quelles consultations véritables ont été organisées, sinon des états généraux ou des consultations croupions dont le seul objet est de revêtir le fait du prince d’un vernis populaire ? Sans parler des institutions de prétendu débat, tels le Conseil économique, social et environnemental (Cese) ou la Commission nationale du débat public (CNDP), dont les noms si longs visent à masquer des compétences si courtes.

La personne d’Emmanuel Macron, les circonstances de son élection, ses paroles, sa pratique si verticale du pouvoir quand il promettait l’horizontalité, ont brutalement catalysé la colère qui sourdait depuis longtemps. Aujourd’hui, il lui appartient de se montrer audacieux et inventif en matière de démocratie directe, ou le mensonge de Donald Trump – qui twitte que les manifestants scandent « Nous voulons Trump » – deviendra prophétie. Macron, aime et écoute ton peuple. Donne-lui la parole !


Addendum

« Audacieux et inventif en matière de démocratie directe. » Le flou du propos est assumé. Il ne s’agit pas de se rendre à une revendication pour en espérer lâchement le rétablissement du calme. Je me méfie autant des modes que de moi-même, puisque le seul de mes votes que je regrette vraiment portait sur une question institutionnelle, le passage au quinquennat. Le fait que les Gilets Jaunes se réfèrent à Étienne Chouard comme père fondateur du RIC a tout, aussi, pour m’appeler à la prudence.

Mais le monde a changé. Nous ne pouvons pas croire que la Constitution de 1958, même amendée depuis, soit suffisante pour répondre aux attentes des Français de 2018. Il ne s’agit pas seulement des évolutions technologiques auxquelles, pour des raisons d’angle et de place, j’ai cantonné ma chronique.

En même temps qu’ils sont de plus en en plus informés, que l’on entend les responsabiliser sur des enjeux graves et même vitaux pour la planète, les citoyens se sentent dépossédés du pouvoir. Il y a douze ans, j’avais évoqué cette idée, dans un billet que j’avais intitulé Les révoltés de l’inéluctable. Je faisais l’hypothèse que la violence nouvelle dans les rapports sociaux puissent venir de ce double mouvement : une information démultipliée sur des enjeux lourds et, dans le même temps, un éloignement croissant des lieux de pouvoir. Plaçons aussi, quelque part dans le paysage, le sentiment – fondé, et parfois fantasmé – que les nouvelles technologies offriraient au contraire une capacité de participation.

J’entends bien que le Référendum d’Initiative Citoyenne concentre bien des défauts. Il s’inspire d’un modèle suisse qui n’est pas exempt de dysfonctionnements lui-même, et que l’on ne peut transposer à la France sans prendre en considération les différences notables des organisations et tempéraments nationaux. Il peut être l’instrument d’un régime autoritaire et populiste. Il s’accompagne d’autres propositions, fantasme délétère, comme la désignation au sort de députés dont le mandat serait impératif[1].

Mais, une fois encore, nous ne pouvons pas faire comme si le monde n’avait pas changé. Comme si la représentation par les députés épuisait le débat. Surtout à l’occasion de cette mandature, marquée par une abstention record aux législatives, ceux qui ont voté ayant pour leur part généralement élu des députés dont ils ignoraient tout – depuis les compétences jusqu’aux idées[2], dont ils ignorent encore aujourd’hui tout de l’action et dont le pouvoir face à l’exécutif est encore plus nul que d’ordinaire. Au-delà de la mesure symbolique brandie par les Gilets Jaunes, il y a une aspiration de fond de participation à la décision qui doit être examinée.

N’écartons donc pas le débat sur la représentativité, au prétexte des défauts avérés du RIC, et envisageons sérieusement les possibilités d’associer les citoyens aux décisions.

Les commentaires vous sont ouverts…

unsplash-logoChris Slupski
  1. Entre autres défauts, on peut imaginer, compte tenu de la complexité des enjeux souvent traités par le pouvoir législatif, que cela se traduirait  par un affaiblissement du politique au profit d’une technocratie plus développée encore – à l’inverse de ce qui est espéré []
  2. Et je ne nie pas que cela ait pu réservé quelques bonnes surprises… dont je ne suis pas certain qu’elles soient nombreuses []

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7 commentaires

  • Bonjour,

    Merci pour ce post. Résidant français en Suisse, je peux constater déjà que le Référendum d’Initiative Populaire conduit les suisses à voter beaucoup, sur des sujets parfois extrêmement techniques, voire complètement ubuesques : les cornes des vaches!

    Enfin, ce qui est bon pour les suisses ne l’est pas forcément pour les français. Ils sont, vus de France, extrêmement conservateurs et capitalistes, et ne changent jamais un système qui marche (assurances maladie, initiative monnaie pleine, etc).

    Dans l’état actuel de l’opinion française, on se retrouvait vite avec des résultats de votations impossibles à appliquer sauf à revenir au communisme.

    A mon sens, dans un premier temps, un système de référendum ne peut s’envisager qu’à un niveau local pour permettre aux gens d’appréhender le système et de mieux voir les conséquences sur leur vie de leurs propres choix.

    • Le RIP mes semble plus adapté aux états fédéraux dans lesquels la législation peut varier selon les états ou les cantons.

    • Il me semble qu’à l’affirmation selon laquelle les Suisses voteraient beaucoup il faudrait préciser que le taux de participation est toujours faible et rares sont les fois où il atteint le taux de 50%;
      Par ailleurs il n’est pas surprenant que Madame Le Pen et Melenchon soient partisans de ce procédé.
      Certes il est incontestable que la composition du Parlement n’est pas le reflet de la société française mais ce constat ne donne pour autant aucune légitimité aux « Gilets Jaunes

  • La représentativité et la notion même de représentation nationale sont aujourd’hui mises en question. Les erreurs commises par Emmanuel Macron sont un élément déclencheur de la crise, mais sont loin d’en être la cause première. Après tout, son élection elle-même, et plus encore celle, massive, des députés LREM peuvent être vues comme un symptôme de ce qu’on a appelé le dégagisme: la perte de confiance dans les élus de la nation et les classes dirigeantes en général. Les Français ont mis Macron au pouvoir largement parce que les partis de gouvernement classiques avaient perdu toute crédibilité au fil des quinquennats lourds en promesses et légers en résultats. Aujourd’hui, le président est victime du même phénomène.

    Le RIC est une bonne idée dans son principe, et pourrait être utile, car le référendum d’initiative conjointe instauré par la révision constitutionnelle de 2008 est conçu pour ne jamais être mis en oeuvre: le partage du pouvoir ne faisait pas partie des ambitions du gouvernement de l’époque. Cependant, il ne sera jamais une panacée, et aurait besoin d’être sérieusement encadré: champ raisonnablement restreint, contrôle préalable de constitutionnalité, etc. L’exemple suisse est intéressant, mais je prendrai pour ma part celui de la Californie, où le référendum d’initiative populaire est très largement ouvert, depuis très longtemps (1911) et très utilisé (plus de 80 propositions mises au vote depuis 2010 – les référendums sont regroupés au moment des élections qui ont lieu tous les 2 ans). Le problème est que les référendums successifs ne peuvent pas former une politique cohérente. Comme les résultats s’imposent au gouvernement, la Californie est un état très difficilement gérable. Par exemple, un référendum a placé une limite très basse à l’impôt foncier; mais un autre a imposé un minimum budgétaire aux dépenses d’éducation – lesquelles sont financées localement par l’impôt foncier. Résultat, pris dans des équations financières impossibles, l’État doit supporter un déficit chronique dont personne n’arrive à se dépêtrer. C’est la limite de la démocratie directe…

    Cela dit, je reste d’accord avec toi sur le point principal: il est urgent de débloquer notre démocratie, par trop verticale. Les Français se caractérisent par d’énormes attentes à l’égard de l’État, mais la situation de la planète mondialisé affaiblit son pouvoir: la déception est inévitable. Dans ce contexte, l’État centralisé a besoin de lâcher du lest. Un système décisionnaire moins lourdement centralisé, moins personnalisé sur le président, avec une portion de démocratie directe, peut faire partie de la solution.

  • Paradoxalement, les Français débattaient… sous l’Ancien Régime. Absolue dans son principe, la monarchie laissait les provinces, villes et villages s’administrer eux-mêmes. On débattait dans la paroisse des affaires du village ou du quartier, on débattait dans les corporation sur le travail. La Révolution a transféré le débat à des élus. Depuis 230 ans, les Français sont frustrés de débats sur la place publique.

  • Se référer aux mémoires de Malesherbes sur la librairie et la liberté de la presse. Quasiment la même expression de « conseil » au roi » : Puisque le roi a décidé de consulter la population, celle-ci doit pouvoir s’exprimer le plus librement possible, toujours cependant dans le respect des principes religieux et politiques fondamentaux. (présentation par Roger Chartier)

    J’imagine en fait un débat dans les villes, quartiers … par une sorte de « club des débats » qui pourraient être initialisés par une émission TV. Type prolongement dans les territoires d’une sorte de C dans l’air sur la 5, ou Calvi sur Canal. On pourrait associer à des questionnaires complétés en commun lors des débats locaux. Ce ne seraient que des avis, commentaires à synthétiser.
    Peut être des clubs « Gil et Jonh »?

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