Laïcité de soupçon

Il y a quelques années, Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la Laïcité m’avait demandé un exemple des dégâts collatéraux de la lutte contre l’islamisme sur l’ensemble des religions. J’en ai un, et non des moindres : le projet de loi prétendant « conforter les principes de la République ». Loin de les conforter, il introduit une rupture inédite dans la conception française de la laïcité, passant d’une laïcité de liberté à une laïcité de contrainte – contrainte infligée à toutes les religions, alors que son exposé des motifs révèle évidemment que seul « l’islamisme radical » est visé.

Songez que son article 6 impose aux associations qui sollicitent des subventions publiques de s’engager par un « contrat d’engagement républicain » à « respecter l’ordre public ». Une telle obligation, anodine de prime abord, risque fort de faire peser une menace sur la survie des associations ou de leur imposer une autocensure dans leurs actions. Car aujourd’hui, comment qualifier l’action du Secours Catholique lorsqu’il veut installer des douches pour les migrants à Calais tandis que, dans le même temps, la police de la République va jusqu’à lacérer leurs tentes pour éviter qu’ils ne se fixent ? Le Secours Catholique respecte-t-il l’ordre public ? Au-delà de cet exemple, comment telle collectivité territoriale, tel président… ou présidente que les urnes voudront bien nous donner, définiront-ils demain cet ordre public ?

Pour faire bonne mesure, afin de souligner que toutes les religions sont visées, ministres et parlementaires n’ont pas reculé devant les déclarations intempestives, mélanges d’ignorance, d’hostilité et de ridicule. Ainsi de Marlène Schiappa dénonçant de fantasmagoriques « certificats de virginité chez les évangélistes (sic) » ou de François de Rugy pointant l’influence étrangère dans le catholicisme, du fait de la nomination des évêques par le Vatican.

Le pouvoir devrait s’interroger sur les effets profonds de son texte. Luttera-t-il vraiment contre le séparatisme, ou le favorisera-t-il ? Comment peut réagir un croyant sincère lorsqu’il constate que pour la société française et sa représentation politique, ce qui fait sa conviction intime et constitutive, est l’objet de suspicion, perçu comme une menace pour la République ? La République pense-t-elle vraiment qu’il se soumettra et mettra sa foi sous le boisseau ? Ne devrait-elle pas craindre plutôt d’en engager beaucoup dans un séparatisme intime, toujours douloureux et certainement délétère pour notre corps social ?