Fier d’être français

fierdetrefrancais« Fier d’être français« … Drôle d’idée, n’est-ce pas ? Vouloir l’être, imaginer seulement l’être… Mais fier de quoi ? De quel rôle dans la grande loterie qui nous a fait naître ici ? Qu’est-ce, seulement, qu’être fier ?Faute d’être fier, l’aimer un peu, la France. Aimer… Aimer ? Cette expression mettra pareillement en transe les mêmes procureurs. Alors, quitte à provoquer leurs transes : aimer la France, et se sentir un peu fier d’en être. Fier d’être français ? Rangez vos gousses d’ail, vous êtes pathétiques. Examinez votre structure mentale. Qui, parmi vous, n’a convoqué – dans l’instant ! – par crainte pour certains, par réflexe pour d’autres, et Le Pen, et Vichy, et le nationalisme, et l’esclavage ?

Une chose le sauve, une chose me sauvera peut-être : Max Gallo est de gauche.

Nationalisme, Le Pen, Vichy. En ces noms, j’ai comme l’impression d‘avoir été complice d’une ex-torsion de mon identité. Ex-torsion car on me l’a volée, ex-torsion, car on l’a tordue, souillée, avilie. Je suis français. De ce pays, de cette culture, de cette histoire. Je réagis en français. Et je le vis plutôt bien.

Et pourtant, je disais il y a peu encore à mes proches que je ne voyais pas de raisons d’être « fier d’être français ». Parce que je n’y suis pour rien. Pour un peu, je leur aurais dit que je craignais de l’aimer, la France. Nationalisme, Le Pen, Vichy, vous dis-je.

C’est peut-être à cette digue intérieure, pierre par pierre dressée par des années d’un même discours conjuguant repoussoir Le Pen et dénigrement compulsif, que s’attaque Max Gallo.

On a tous nos raisons préférentielles d’aimer la France. Selon nos valeurs propres, et notre propre hiérarchie. Peut-être, d’ailleurs, est-ce pour cela qu’il n’explique guère, dans cet essai combatif et rageur, les raisons d’être fier[1]. D’abord, abattre la digue.

Un ami me racontait qu’étant en Afghanistan au début des années 80, il avait toutes les peines du monde à faire comprendre qu’il n’était pas médecin. Parce qu’un français, en Afghanistan à cette époque, c’était nécessairement un médecin, un anglais, nécessairement… un journaliste. N’est-ce pas une raison d’être fier d’être français ? Les Etats-Unis en Somalie passent la main aux français, parce que les français savent s’adapter aux populations locales. N’est pas une autre raison d’être fier d’être français ? Les français montrent leur générosité des Restos du Cœur au Téléthon. N’est-ce pas encore une raison d’être fier d’être français ?

On a tous nos raisons préférentielles d’aimer la France.

Mais je les entends, les procureurs.

Je lis déjà leurs commentaires. La France, c’est aussi l’esclavage. C’est Vichy, c’est les collabos, les bérets de la milice. C’est la colonisation, c’est les petits blancs, la France, c’est la torture. Et la France, c’est quoi ? Un petit pays arrogant et prétentieux, un nain, qui continuerait à prétendre faire entendre sa voix.

Avant d’être la SNCF qui acceptait les convois, la France, rappelle Gallot, c’est La Bataille du rail. Avant d’être la milice, la France, rappelle Malraux[2], c’est Jean Moulin.

« Ecoute aujourd’hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le chant du malheur ! scande Malraux. C’est la marche funèbre des cendres que voici. A côté de celles de Carnot avec les soldats de l’an II, de celles de Victor Hugo avec Les Misérables, de celles de Jaurès veillées par la Justice, qu’elles reposent avec leur cortège d’ombres défigurées. Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché de tes mains sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé : ce jour-là elles étaient le visage de la France ! »

Les fusillés du Mont Valérien étaient le visage de la France, les étudiants abattus du bois de Boulogne, tombés en criant « Vive la France », étaient le visage de la France, ces plaques sur les façades parisiennes « X, mort pour la France » sont le visage de la France.

Morts pour la France… Et l’on verrait la France dans les bérets de la milice ? Autant cracher sur leurs tombes. Autant abattre ces plaques.

Etre fier d’être français, ce serait un pas vers la xénophobie. Briser la digue, ce serait ouvrir la vanne aux flots nationalistes. Pourtant, je suis français, je suis européen, j’aime mes voisins étrangers, je suis français… Je ne ressens pas de contradiction. Des hommes, des femmes, commettent des crimes par amour. Cesse-t-on pour autant d’aimer ? Aimer son pays peut mener au nationalisme. Doit-on cesser pour autant de l’aimer ?

Gallo cite Marc Bloch. Il avait des raisons de ne pas aimer la France, lui, « le Juif », lui qui l’a vue à terre, qui est pourtant mort pour elle, fusillé par les nazis le 16 juin 1944 – le 16 juin 44… – parce que d’autres français l’ont laissée choir.

« Je n’ai jamais cru, écrivait-il, qu’aimer sa patrie empêchât d’aimer ses enfants. Je n’aperçois point que l’internationalisme de l’esprit ou de la classe soit irréconciliable avec le culte de la patrie. Ou plutôt, je sens bien, en interrogeant ma propre conscience, que cette antinomie n’existe pas. C’est un pauvre cœur que celui auquel il est interdit de renfermer plus d’une tendresse »

Aimer la France, ce n’est pas ne pas aimer l’Afrique. Ce n’est pas ne pas aimer l’Espagne. Ce n’est pas ne pas aimer le monde.

Parce qu’il faut bien revenir à ce moment tragique où la France a été vaincue, humiliée, défaite, Gallo cite Braudel, avec Bloch.

« Si Ferrnand Braudel s’interroge ainsi de manière angoissée sur L’identité de la France, c’est qu’il a, comme Marc Bloch, vécu la débâcle, L’Etrange Défaite de 1940.

« Nous, les vaincus, sur le chemin injuste d’une captivité ouverte d’un seul coup, nous étions la France perdu, comme la poussière que le vent arrache à un tas de sable », écrit Braudel.

Lui, Marc Bloch, et des centaines de milliers d’autres, ont découvert dans leur chair, par leur souffrance, qu’un pays peut s’effondrer. Ils se sont rassurés en pensant « à la vraie France, la France en réserve, la France profonde…, comme enfouie en elle-même, qui coule selon les pentes propres de son histoire séculaire, condamnée à se continuer vaille que vaille ».

Ces français, qui ont sauvé l’honneur, étaient minoritaires ? Oui. Si l’honneur est péril, c’est assez inévitable. Mais c’est à côté d’eux qu’elle se tenait, la France. Sans ceux-là, qui ont eu l’incroyable prétention d’incarner une autre France, une France souterraine, la vraie France, celle de l’honneur, qui n’était pas mort, aurait-elle eu en 45 sa place « à la table des vainqueurs » ?. Si aujourd’hui se présentaient les nouveaux allemands, quelle serait notre réaction, face à eux, à Churchill, à Roosevelt, nous si prompts à battre notre coulpe, nous si prompts à abdiquer notre singularité, nous si prompts à nous sentir tout petit relatifs.

A ne plus voir que les pages sombres, à ne plus vouloir être français, à quoi nous raccrocherions-nous dans de mêmes circonstances ? Dans un nouveau mai 40, ne laisserions-nous pas les nouveaux allemands diriger ce pays, qui ne mérite pas d’être aimé, ne mérite pas d’être sauvé ? N’est-ce pas déjà ce que l’on fait. « La France profonde » ? Si c’est celle de Vichy, qu’on « la nique », effectivement.

Aimer la France, pourquoi ? S’il vous faut une autre raison, je vous dirais qu’aimer la France, ce n’est plus une option. C’est une obligation de salut public.

Comment vouloir une France d’avenir, honteuse de son passé ? Comment se projeter, sans appui ?

« Plus grande est la portion du passé qui tient dans le présent, plus lourde est la masse qu’il pousse dans l’avenir pour presser contre les évènements qui se préparent : son action, semblable à une flèche, se décoche avec d’autant plus de force en avant que sa représentation était tendue vers l’arrière » (Bergson, cité page 78)

Comment affronter la mondialisation, sans s’aimer soi. Les français en ont peur, nous dit-on. Les français n’ont déjà plus d’identité, alors comment ne craindraient-ils pas d’être broyés, oubliés, négligés ?

Comment croître ensemble si l’on ne joue pas collectifs ? « L’économie française patine, elle ne profite pas du dynamisme mondial et gâche ses potentiels, ce qui se traduit par une croissance molle » nous disent les nouveaux mousquetaires, Blanc, Bockel et Lambert ? Comment en serait-il autrement dans une France où l’on joue collectif au petit pied ? Collectif pour autant que cela me rapporte, à moi, individu. Mais pas au-delà. Parce qu’au-delà, je m’en fous.

« On ne soignera pas le « mal français » en se bornant à recourir à des réformes nécessaires – temps et contrat de travail, lutte pour l’emploi, etc – mais en affirmant que cette nation est digne d’être aimée, qu’on doit être fier d’être français » (p. 42)

Et encore comment être réellement, pleinement solidaires, si l’on n’est qu’individus ? Si l’on n’a pas de destin commun ?

Et surtout, comment intégrer ? Comment proposer à un jeune fils d’immigrés, d’ores et déjà victime de discriminations d’intégrer un pays qui ne s’aime pas lui-même ? S’intégrer à la France ? Mais que propose-t-elle ? Elle qui s’interdit d’être fière d’elle-même.

On m’opposera que l’on peut – voire que l’on devrait – vivre au nom de principes universels. Tels que Liberté, Egalité, Fraternité. Ce qui, somme toute, reste un synonyme de la France, preuve que l’une n’exclue pas les autres. Et puis, « élever très haut le débat est une manière de le perdre de vue»[3]. Je ne peux m’empêcher de penser que si certains peuvent mourir pour des idées, on préfèrera du concret, le destin commun. D’autant plus que nous sommes, en France, dans une époque où, en fin de compte, on meurt peu, pour des idées.

En fin de compte, combien d’entre vous, tout en niant la possibilité même d’être « fier d’ » être français, rêvent pourtant de pouvoir l’être ?

Alors, un petit effort. Concédez que vous avez des raisons de l’être.

Et prenez le temps de souffler avant de répondre

  1. il est permis toutefois de le regretter []
  2. cité par Gallot []
  3. Bernard Lacroix, via Débat2007 []

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4 commentaires

  • Lire ce billet, qui date de 10 mois, à la lumière de la campagne, de l’élection, et de la journée d’intronisation qui ont eu lieu récemment, c’est assez troublant. C’est d’ailleurs carrément émouvant, parce que durant la campagne, je me suis demandé tant de fois si la France que j’aimais était bien la même que celle qui crachait sur Sarkozy, sur mes idées, sur mes convictions.

    Et puis furent les 22 avril et 6 mai… et la prise de conscience que non, même si tout n’est pas tout rose (c’est le cas de le dire 😉 ), la France n’a pas oublié qui elle est, n’a pas renoncé à s’aimer. Et cette fierté-là s’est additionné à celle, solennelle, que tu dépeignais.

    Tu finis ton billet par ces mots :

    « En fin de compte, combien d’entre vous, tout en niant la possibilité même d’être « fier d’ » être français, rêvent pourtant de pouvoir l’être ?

    Alors, un petit effort. Concédez que vous avez des raisons de l’être.

    Et prenez le temps de souffler avant de répondre. »

    On a pris le temps. Et on a répondu. On était presque 19 millions à répondre « oui ».

  • Koztoujours, amusant, en 1995 j’avais édité un petit bouquin qui à fait rire plus ou moins pas mal de monde avec pour titre Cause toujours tu m’intéresses, petite chronique lilloise pour relater mes avatars face à un promoteur et copain à mon voisin maire pour alimenter mon bâtiment en eau, faire ma cuisine, me laver, exploiter mon bien…

    inutile de vous dire que je suis toujours en train de courir après un seau d’eau, à 72 ans de traîner derrière moi un seau hygiénique et, cerise sur le gâteau mon voisin éminent historien s’est acoquiné avec un juge tous deux intéressé par mon bien pour me priver de ma servitude me privant de fait de toute possibilité pour l’avenir d’alimenter mon bâtiment de ce précieux liquide…,

    désolé M. Gallo, alsacien j’ai fait mon devoir comme on dit chez nous, trois citations à l’ordre de l’armée comme pilote en Algérie, je me suis battu avec d’autre pour que le Vieux Lille ne soit pas livré aux démolisseurs…, désolé Monsieur, ce pays n’est plus le mien, pour en savoir plus http://unelacheteordinaire.com MERCI !

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