Ne délaissons pas le lieu du drame 🔖

Pourquoi ne pas parler d’autre chose ?

J’aimerais que cette crise n’occupe pas tout mon horizon – ou presque. Nous avons besoin d’espérance, et de la soutenir.

Mais une phrase du livre de Véronique Margron, « Un moment de vérité », à ce sujet, me touche en particulier :

Ne pas délaisser le lieu du drame, ce lieu insupportable parce qu’il a le goût et l’odeur de la mort. Rester là. Me tenir là.

Sans exagérer ma responsabilité, je ne minore pas non plus ma contribution involontaire au climat de silence qui a prévalu au sein de l’Église, et qui s’est imposé à des victimes dont je ne fais que deviner les hurlements intérieurs, toutes ces années. Je ne peux pas, non plus, ignorer l’écho que fait cette phrase avec ce que la providence a voulu me faire choisir comme exergue de mon blog, et qui demande en particulier d' »être là ».

Alors nous ne pouvons pas délaisser le lieu du drame, ce lieu où nous aurions tous dû être – où j’aurais dû être – comme chrétiens et où nous devons désormais être, par égard pour ceux que nous n’avons pas entendu et pour ceux qui voudront parler demain. « Face au crime et au péché, comment agir, puisque telle était notre interrogation de départ ? D’abord, prendre avec soi la douleur des victimes. Pour le dire autrement, il s’agit de faire hospitalité à la vulnérabilité« .

C’est aussi un enjeu fondamental car, comme le dit Véronique Margron, l’Église repose sur la confiance.

Plus fondamentalement encore, l’auteur l’explique ainsi :

L’Église repose sur la confiance, sur une parole partagée (…) Elle n’a de sens que parce qu’elle met toute son énergie à vivre ce qu’elle annonce, à partager ce qui fait battre toute son histoire. L’échec d’aujourd’hui a détruit – pour longtemps sans doute – cette confiance possible. Y compris d’ailleurs si l’on n’adhérait pas à son message, mais croyait à son intégrité

Ainsi non seulement et avant tout les victimes de ces agressions sexuelles ont-elles pu perdre la confiance en l’autre et la confiance en Dieu, mais cette crise des abus sape un fondement, principal peut-être, de notre relation dans l’Église.

Dans son livre, Sœur Véronique Margron explore bien sûr les ressorts de ces abus. Ainsi du silence de l’institution, comme celui des victimes – et le silence des fidèles. On a parfois entendu dernièrement que ce serait aux victimes majeures d’agir. Véronique Margron fait une analogie avec le constat de Primo Levi : « Comment peut-on expliquer que quand Auschwitz a été libéré, c’était les déportés, les victimes qui avaient honte et non pas les bourreaux ? »

Elle écrit ceci :

La honte, c’est la haine d’une partie de soi, celle-là même qui a subi la violence, l’intime exposé, manipulé, meurtri. Celle-là aussi qui n’a pas pu crier, appeler à l’aide, se sauver, mais fut tétanisée, sidérée par la peur et par l’emprise. La honte raconte alors cette part de soi que l’on rejette (…) Ainsi celui qui éprouve de la honte croit qu’il est déjà exclu de son groupe, famille, Église, troupe de scouts, communauté religieuse. La honte est ce que l’agresseur impose à sa victime, à partir du lien qu’il prétend privilégie, unique, secret, qu’il tisse avec elle comme une toile d’araignée qui l’emprisonne et l’étouffe et dont il énonce, de plus, que la victime lui est redevable.

L’auteur fait le tri également entre les fausses conceptions de la pudeur, du scandale, de l’utilisation du péché pour qualifier les actes des pédocriminels – qu’il convient bien de qualifier de « crimes » – voire de la transparence dont elle explore l' »ambiguïté ».

Véronique Margron distingue enfin « douze travaux de l’Église« .

  1. La première obligation de l’Église : mettre les victimes au centre. « Dans ces drames, ce sont bien les victimes qui incarnent le Christ crucifié et bafoué – quand on a tant écrit sur le prêtre comme alter Christus« ;
  2. Le deuxième des Douze Travaux : désacraliser la figure du prêtre;
  3. La troisième tâche est alors de déconstruire le « système clérical ». « Déconstruire non pour détruire, mais pour inventer une autre manière de faire l’Église et donner tout son sens au sacerdoce commun des baptisés« ;
  4. Le quatrième chantier de l’Église, promouvoir la place des femmes. Véronique Margron rappelle le propos du pape François qui a dénoncé à Rio en 2013 « les lieux communs d’une féminité rabattue sur la maternité ou encore les ambiguïtés d’un « service », spécialité prétendue des femmes, si souvent pervertie en simple servitude« ;
  5. Le cinquième enjeu : transformer la crise en mutation;
  6. La sixième nécessité : changer le style de l’Église. « Il faut se défaire d’un rapport au monde distant, parfois encore hautain, au profit d’un style d’existence présent au siècle où nous sommes, partie prenante de son destin, au milieu et avec ce temps« . Je relève dans ce passage « la capacité du Nazaréen à apprendre du « tout-venant » »;
  7. La septième obligation : renforcer le dialogue avec la société;
  8. Le huitième travail : faire la vérité pour retrouver la confiance;
  9. Le neuvième chantier de l’Église : former les prêtres sur les questions affectives;
  10. Le dixième impératif : combattre les phénomènes d’emprise. « Tous, nous sommes dans l’inachèvement, en quête d’accomplissement, et l’emprise ne peut s’installer sans une fascination pour la perfection, sans cette illusion de croire qu’il existerait des êtres humaines totalement accomplis qui seraient capables de nous transformer nous aussi en êtres parfaits« ;
  11. Le onzième travail : revoir l’exercice du pouvoir dans l’Église. « La première chose qui frappe est que trop souvent dans l’Église les responsables sont juges et parties »;
  12. Le douzième chantier de l’Église : mettre en actes la « tolérance zéro ». Elle « doit devenir, dans la réalité, un principe essentiel pour l’Église avec des conduites claires, des protocoles, une formation spécifique et des programmes d’éducation« .

Véronique Margron conclut sur l’état d’urgence dans lequel se trouve l’Église. Constat qu’elle a fait bien avant moi, avec une toute autre proximité des victimes que la mienne, mais que je partage, comme je partage la nécessité d’entendre cet état d’urgence pour faire entendre la voix des victimes, et renouveler l’Église.

Pourquoi ne pas passer à autre chose ? Parce que nous sommes en dette vis-à-vis des victimes et que passer à autre chose serait prolonger la surdité dont nous avons pu faire preuve. Parce qu’affronter les yeux grands ouverts cette crise n’affaiblira pas l’Eglise, elle nous permettra au contraire de la rendre plus sainte. Comme l’écrit Sœur Véronique Margron, il faut faire de cette crise une mutation.

Je réfléchis (oui, encore) à l’articulation de mes divers lieux de publication. Cette petite fiche de lecture se trouvait sur le groupe Facebook – que je vous invite subtilement à rejoindre : nous sommes bientôt 2.000, ça tient chaud. Mais, d’une part, tout le monde n’est pas présent sur Facebook (n’est-ce pas, Patrice ?) et, d’autre part, cela me chagrine un peu de laisser certaines publications s’évanouir mollement dans les limbes de FB – d’autant que je peux avoir envie de m’y reporter moi-même plus tard. En revanche, je ne veux pas me sentir contraint de publier des textes aussi travaillés (j’espère qu’ils le semblent) chaque fois. Peut-être alors signalerai-je ce type de publications par un emoji tel que celui en titre (ici un marque-âge). Sauf à ce que je trouve une modalité technique plus satisfaisante pour distinguer les contenus.

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19 commentaires

  • Bien d’accord. Dans l’Église aujourd’hui, ce sujet restera critique pour longtemps. L’ignorer ou le minorer n’aurait aucun sens, et cela aurait de lourdes conséquences sur la mission.

    Par ailleurs, désolé, mais Facebook, c’est toujours niet.

  • Sur les douze travaux j’ai quelques points d’accord mais aussi quelques objections:
    – dialoguer avec le monde pourquoi pas mais pour dialoguer il faut être deux. Cela fait 50 ans qu’on dialogue et vu la vitesse de la sécularisation, on ne peut pas dire que ce soit une réussite. Je ne trouve pas l’Eglise surplombante ou arrogante, au contraire: elle donne plutôt l’impression d’avoir honte d’elle-même. Quelques laïcs peuvent avoir cette attitude mais on ne peut pas dire que ce soit caractéristique de l’attitude de l’Eglise en tant qu’institution.
    – désacraliser la figure du prêtre: la encore, c’est ce qu’on fait depuis 50 ans avec la réussite qu’on peut observer. Peut être que c’est au contraire la désacralisation du prêtre qui lui a permis de se croire tout permis et qui a fait croire aux évêques que c’est un simple pécheur qu’on peut se contenter de déplacer. Qu’on le veuille ou non, le prêtre sera toujours une figure à part dans l’Eglise. Il reçoit un des 7 sacrements que personne d’autre ne reçoit et a seul le pouvoir de confesser et de rendre Jesus présent dans le pain et le vin. Si on enlève ça, ce n’est plus la même religion. Et avec ça, il sera toujours une figure sacralisée.

    • L’une des victimes du père Preynat expliquait que, lorsqu’il venait dans sa famille, c’était « comme si Dieu entrait chez eux ».

      Il y a trois ans, on me rapportait le cas d’un prêtre surpris dans le lit d’un adolescent. En l’absence de plainte, il avait été déplacé et affecté, dans un autre diocèse… à l’aumônerie du lycée. Comment expliquer que des laïcs, ordinairement attachés à la protection des enfants, aient pu prendre une décision aussi manifestement stupide ?

      Même les religieuses victimes d’abus disent souvent qu’il n’était pas imaginable pour elles que le prêtre, figure sacrée à leurs yeux, puissent commettre le mal.

      Dans bien des cas de prédation, l’abus sexuel prend racine sur un abus spirituel, et une emprise dans la communauté concernée, grande ou petite – parfois seulement quelques familles. Mgr de Moulins-Beaufort l’expliquait très bien.

      Tout cela, à mon sens, prend sa source dans le regard non ajusté de certaines personnes, trop, sur les prêtres. Trop de personnes sont portées à aduler les prêtres, à les vénérer, les regarder comme des alter christus jusque dans leurs activités ordinaires. Soit dit en passant, toutes les sensibilités sont concernées, y compris les sensibilités tradis, pourtant peu susceptibles d’avoir procédé à une telle désacralisation.

      Alors, certes, le terme « désacralisation » employé par Soeur Véronique Margron est peut-être malvenu – même s’il n’est pas faux. Et je ne pense pas qu’il soit nécessaire aujourd’hui de mettre en place grand chose pour poursuivre cet objectif : la violence de ce qui se passe depuis des semaines aura probablement déjà suffi à opérer une désacralisation de force.

      Mais il me paraît fondé de garder ce risque à l’esprit, surtout lorsque le manque de vocations aura tendance à nous pousser à resacraliser le prêtre.

      • Ce qui est frappant dans ces descriptions de l’emprise psychologique d’un prêtre prédateur sur ses victimes, c’est l’évidente similitude avec le gourou d’une secte. Les mécanismes paraissent très similaires. Ce genre de dérive est connu et justement dénoncé ailleurs: l’Église a le devoir d’empêcher que de telles choses se produisent en son sein. Même si cela ne conduit pas toujours au pire (heureusement) .

      • Le documentaire d’Arte sur les abus commis sur les religieuses ne laissait aucun doute : certaines communautés étaient des sectes. C’est d’ailleurs, concernant les Soeurs contemplatives de Saint Jean, Mgr Giraud alors chargé des dérives sectaires qui avaient mené la réponse de l’Eglise, aboutissant à la dissolution de la communauté.

        Pour le coup, on constate que c’est la violation de règles prudentielles très anciennes et en vigueur dans tous les ordres constitués qui permet la mise en place de cette emprise. C’est en particulier le cas de la distinction du for interne et du for externe. Quand elle n’est pas respectée, la dérive est installée.

      • Ce genre de description à notre époque m’étonne toujours … J’ai 58 ans, j’ai étudié sept ans dans une petit séminaire, dont une année comme interne, j’ai fréquenté l’Opus Dei à l’université (mouvement où, malgré son caractère principalement laïc, les prêtres sont mis sur un piédestal), et maintenant une paroisse tradi. Eh bien c’est quand même curieux, j’en ai cotoyé trop pour les révérer à ce point. Je n’en ai pas connu de scandaleux, un bon nombre de médiocres ordinaires, quelques uns fort zélés avec tout un caractère, un assez douteux mais travaillé quand même par sa conscience, et d’autres pétris de bonnes intentions et d’initiatives louables pas toujours menées à terme mais qu’on aimait bien malgré leurs limites agaçantes parfois. Bref, du monde qui nous ressemblait trop (en mieux) pour pouvoir les idôlatrer. J’ai souvent dit à propos de notre vieux curé émérite : certains lui trouvent du charisme, moi pas ; et c’est tant mieux.

  • La parole d’Erwan, comme celle de Véronique sont très précieuses pour nous réveiller, pour empêcher qu’après un période d’intense émotion nous retombions dans les routines.
    Je prie pour que l’Esprit saint nous inspire les choix et les gestes de la conversion nécessaire pour la situation aujourd’hui !

  • Bonjour,
    j’ai les plus expresses réserves envers les propos de Koz et de soeur Véronique sur ce que je crois être une confusion : l’appel à la conversion, oui, il est le fil rouge de la Bonne nouvelle. Mais en juriste, koz exagère dans l’ordre religieux, comme JL. Mélenchon dans l’ordre politique, l’importance de la structure. La réforme des institutions n’est pas un moyen d’agir contre les pulsions criminelles. Les institutions, sont, plus modestement, le lieu de compromis entre divers pouvoirs qu’il s’agit d’ordonner (le mot est significatif) afin que le grand corps (autre mot lourd de sens) qu’est l’Église agisse sans que ses forces se dispersent et en restant au service de l’Amour dans la Vérité.

    Le statut sacral du prêtre a plusieurs siècles d’existence, le pic de la criminalité pédophile date des années 70 (cf les contributions de gaby lors du post précédent « des profondeurs »), il ne doit rien ni à Vatican II ni aux intégristes, il doit tout à la volonté, lors des années 60, de sexualiser l’ensemble des comportements dans l’ordre de la société civile. La régression de la pédophilie dans le clergé aujourd’hui ne signifie pas que les institutions actuelles sont les meilleures, pas plus qu’elles n’ont joué le moindre rôle dans les abus antérieurs. La honte fort bien décrite chez les victimes n’aurait été en rien différente avec un clergé désacralisé. Certes, l’emprise aurait pu être moindre, mais les passages à l’acte chez les clercs seraient plus nombreux s’ils devaient ressentir qu’ils n’ont pas à être distants de la société civile qui, depuis le XVIII° siècle, donne le tempo et le là dans les comportements socialement tolérés ou non. Or si le narcissisme exhibitionniste est actuellement le livre de vie donné aux individus émancipés, aucune institution ne l’a voulu, c’est une attitude collective tolérée – trop longtemps – par réaction envers des excès de servilité antérieurs (eux-mêmes présentés par les partisans de l’Ordre comme remèdes aux excès des anarchistes sous la Révolution, elle-même présentée comme remède aux abus de l’Ancien Régime etc…)

    Par ailleurs lorsque réforme des institutions il y a eu contre des abus, cette fois non marginaux mais ordinaires, là la réforme est allée au contraire dans le renforcement du sacral : les prédécesseurs clunisiens de soeur Véronique ont imposé une stricte discipline hiérarchique (réforme grégorienne) contre la simonie et le nicolaïsme, ils n’ont pas du tout souhaité imiter l’environnement laïc au contraire. Même chose lors du concile de Trente, où, pour répondre à Luther qui appelait à désobéir et avait finalement rompu, il a été répondu que pour lutter contre le désordre du clergé, il convenait au contraire de renforcer le pouvoir d’inspection des évêques (les fameuses visites pastorales dont tous les historiens s’accordent à dire qu’elles ont amélioré significativement la compétence et le comportement des curés).

    Enfin, j’aimerais surtout que nous soyons capables de refuser de passer collectivement du déni à ce que je qualifie de pharisaïsme inversé : la constance avec laquelle Jésus rappelle violemment les pharisiens à fuir les péchés d’hypocrisie ou de crimes auquel ils sont, par leur pouvoir même, plus soumis à tentation que le quidam, ne s’est jamais accompagnée de la moindre proposition pour changer les institutions religieuses de son temps : l’appel à la conversion ne passait pour Jésus ni par le militantisme politique – ce qui a écoeuré Judas entre autres – ni par une désacralisation du rabbinat des scribes ou des pharisiens, encore moins par la mise en accusation nominale de 100 pour 5 fautifs réel, Il leur fut demandé non de changer de statut, mais d’adapter leur conduite à l’exemplarité de leur charge.

    Je ne m’étonne pas de la tendance de l’avocat Koz à attacher trop d’importance au droit et aux institutions, ce n’est pas pour cela que je vais renoncer à lire ses analyses qui, dans des dossiers où la connaissance technique et éthique du droit est vitale, m’ont appris beaucoup. Mais ici, non, ma responsabilité de catholique auprès des victimes de viol ou d’attouchements, n’est pas de changer le fonctionnement des institutions ecclésiales. Personne, parmi ceux qui réclament une VI° République en politique, ne le fait pour lutter contre les déviances criminelles de quelques parlementaires.

    Mon seul questionnement devant les horreurs vécues, c’est comment ai-je pu passer un demi-siècle sans jamais avoir eu à être attentif sur une question dont on ne m’avait jamais parlé, à savoir comment agir en interne contre un clerc violeur. Aucune institution n’empêchait pourtant ceux qui m’ont formés au catéchisme (et qui furent toutes des laïques soit dit en passant) d’aborder ces questions, ni aucun prédicateur de l’aborder dans des homélies, ni aucun parent…A-t-on tout simplement oublié que la notion même de déviance sexuelle était contestée parce qu’il ne fallait faire de peine à personne par charité mal comprise? Que le ton de ces années était de ne pas dénoncer, sous peine de passer pour inquisiteur, mais de voir la poutre dans son oeil d’abord? Bref que la culture d’ouverture au monde, nécessaire par ailleurs, avait pour faille de manquer complètement de vigilance sur les manifestations du Mal chez autrui pour se concentrer mieux sur notre péché à chacun. Ce ne fut pas un complot, mais un abus dans l’interprétation des textes : le chrétien devait alors apprendre à voir son propre péché avant de voir celui d’autrui. Sauf qu’entre un péché et un crime, il y a une marge…

    La parole a toujours été beaucoup plus libre dans l’Eglise qu’on ne le croit, qu’on songe à Érasme par exemple ; lorsqu’elle n’est pas « libérée », c’est bien souvent par elle-même, et non du fait d’ un complot ourdi par des hiérarques. Des théologiens, j’attends qu’ils nous aident à éviter ces trous noirs de la parole, où nous nous taisons sur des choses gravissimes non par lâcheté mais par cécité.

    • J’aurais, pour ma part, les plus expresses réserves sur toute analyse qui prétendrait date un pic de la pédocriminalité. Il est possible, seulement possible, qu’il y ait eu un pic dans les années 70, compte tenu du climat de l’époque. Mais la chape de silence qui a toujours pesé sur ces crimes interdit de se prononcer avec certitude.

      Quant aux leçons de l’Histoire, elles ne doivent certes jamais être négligées mais croire que l’Histoire peut se répéter est une autre façon de tomber dans l’erreur de la démarche historique, l’anachronisme. Croire qu’il faut nécessairement répondre à la crise actuelle par les méthodes utilisées lors de la réforme grégorienne, alors qu’il s’agit de répondre à des problèmes différents dans des époques et des cultures différentes est à mon avis un leurre.

      Ne m’en veuillez pas si, au demeurant, je relève une certaine incohérence de votre propos lorsque, voulant évoquer la Réforme et les enseignements de l’Histoire, mais dénoncer en même temps ma prétendue tendance exagérée à évoquer des réponses organisationnelles, vous citez en exemple le renforcement du pouvoir d’inspection des évêques, mesure organisationnelle.

    • @ bruno lefebvre

      Je vous suis.

      Les abus ou les crimes sexuels sur mineurs sont à période comparable également fréquents dans des environnements où les femmes sont nombreuses et où le cléricalisme n ‘est pas le problème. Je pense à l’Éducation nationale, aux conservatoires de musique,etc. Oui, personne n’a de statistiques vraiment fiables, mais les éléments dont on dispose ne permettent pas d’affirmer une plus grande fréquence au sein de l’Église catholique.

      Cela n’excuse rien, vraiment rien. Mais je suis perplexe quand je vois les partisans d’un plus grand rôle des femmes ou des laïcs (et je n’ai rien contre) essayer d’accrocher leurs wagons à la crise des abus sexuels quand une approche comparative ne rend pas du tout évident que la source principale du problème soit dans les causes qui leur tiennent à coeur. Et pendant ce temps là, on n’explore pas d’autres pistes.

      • Et je ne vous suis pas. Il faut arrêter avec cette antienne. Non, la question de l’homosexualité (parlons clair) n’est pas ignorée. Pour ne citer qu’eux, le Père Lombardi l’a évoquée, Marie-Jo Thiel (dont j’ai le livre, qui fera probablement référence, sous la main) y consacre plusieurs pages. Le sujet est largement abordé. En matière de « causes qui tiennent à cœur », je ne suis pas sûr qu’il n’y ait rien à dire de ce côté-là.

        Il faudrait aussi accepter de prendre la mesure de difficultés plus larges que la seule pédocriminalité, et auxquels Sœur Véronique Margron fait référence – pour y avoir notamment été confrontée dans sa pratique d’écoute des victimes. On fait quoi des abus sexuels sur les religieuses ? On les oublie, parce que ce n’était en fait qu’une reportage ? Et, si l’on répond à la pédocriminalité par l’éradication des homosexuels, là, on poursuit sur l’éradication des hétérosexuels ?

        Il y a, à l’évidence, autre chose. Et si la réponse est plus ferme, dans l’Eglise, si la réflexion est plus globale, c’est peut-être qu’elle est enfin recherchée à la hauteur de sa responsabilité sociale et spirituelle.

    • Je suis en total désaccord avec cette notion de pic statistique, de même qu’avec l’idée que le phénomène n’est pas plus grave dans l’Église catholique qu’ailleurs.

      D’abord d’un point de vie factuel: le sujet mérite que l’on cite des données fiables, et qu’on en tire pas de conclusions hâtives. Le commentateur que vous mentionnez, par exemple, omet de signaler que l’étude qu’il cite ne porte que sur les États-Unis. On peut conclure provisoirement que le phénomène est en baisse, avec tout de même une forte réserve: le temps passé entre les crimes commis et leur dénonciation publique peut souvent se mesurer en décennies. Mais même s’il est en baisse, on ne peut pas prétendre qu’il n’existe plus.

      Ensuite, parce que cette grille d’analyse conduit inévitablement à minimiser la gravité de la situation. Un seul des crimes révélés ces dernières années suffit à constituer un immense scandale! Parler d’un phénomène en forte diminution signifie qu’on s’y habitue, que les victimes sont réduites à l’état d’une statistique; ou, pire, qu’on le voit comme un problème passé qui est en train de se régler tout seul.

      Enfin, parce que cette focalisation sur la fréquence des crimes met le projecteur sur le mauvais sujet, concernant les réformes nécessaires dans le fonctionnement de l’Église. Les crimes des prêtres n’engagent que leur responsabilité individuelle et pourraient être combattus avec un examen plus strict des candidats à la prêtrise (c’est déjà en place). Mais le vrai sujet qui exige des changements, c’est l’attitude de l’institution et de sa hiérarchie face à ces situations. Des évêques, des cardinaux, la structure dans son ensemble ont ignoré, dissimulé, négligé ces situations, et protégé les criminels. C’est cela qui justifie une profonde remise en question.

  • @ koz

    Mon antienne n’est pas l’homosexualité et rien de ce que j’ai écrit à ce jour ne justifie une telle insinuation. On estime que le pourcentage de clercs ayant une orientation homosexuelle (whatever that means) est deux à trois fois supérieur à celui de la population générale. Hors il n’y a aucun indice que les abus soient plus fréquents au sein de l’Église que dans les autres institutions. Il est donc clair que la question de l’homosexualité ne peut pas être la piste prioritaire à explorer.

    Je persiste : le refus, sous prétexte de ne pas chercher d’excuses, de considérer ce qui s’est passé et se passe en dehors de l’Église conduit à privilégier des pistes de solution qui n’ont rien d’évident.

    On conteste les données disponibles. Elles sont fragiles, mais au moins aux US la tendance à la baisse est difficilement contestable et le comportement de la hiérarchie y a beaucoup changé. Je ne pense pas qu’en France il y ait encore beaucoup de prélats qui aujourd’hui choisiraient la dissimulation. Que je sache, personne n’accuse Barbarin de s’être comporté de façon irresponsable pour les cas commis quand il était en charge. Le passé est une autre histoire et il ne s’agit certainement pas de chercher à le dissimiler ni d’en minimiser la gravité.

    Il serait bon pour tous, pas seulement pour les catholiques, qu’un effort d’ensemble soit entrepris pour documenter le phénomène. C’est difficile, mais il serait par exemple important de comprendre si oui ou non il y a eu à l’échelle de la société un effet « mai 68 » sur la fréquence de ce type d’abus. Et pour répondre, des ordres de grandeur suffisent et il n’est pas besoin d’avoir des données sur toutes les institutions dans tous les pays… Il y a bien d’autres questions à se poser, mais ce n’est pas le lieu d’en faire la liste.

    Je n’ai rien contre le principe de donner plus de place aux laïcs et en particulier aux femmes dans l’Église. Il est éminemment souhaitable que les clercs ne se prennent pas pour le Dieu qu’ils sont sensés servir. Mais enfin, si des institutions où les femmes ont toute leur place et où le clergé au sens catholique du terme n’existe pas ont connu et connaissent encore les mêmes problèmes, il n’est pas évident que les réformes mises en avant, quels que soient par ailleurs leurs mérites sur d’autres plans, contribuent réellement à la solution.

    J’ai vécu l’époque où l’on expliquait doctement que la présence grandissante des femmes en politique, ou dans les directions d’entreprise, augurait d’un adoucissement des mœurs. Et où les primaires, en donnant la parole aux citoyens, étaient présentées comme le remède contre la politique d’appareil.

    Je ne conteste pas la nécessité d’une profonde remise en question. Mais pour commencer peut-être faut-il se garder de sauter sur les premières solutions qui tombent sous la main.

    • Bon. Puisque j’ai présumé de ton intention, je te prie de m’en excuser.

      Pour ce qui est de l’étude d’ensemble, et des « solutions », on ne peut pas non plus faire comme si nous partions de rien. Le texte de Mgr Eric de Moulins Beaufort, paru début 2018, est déjà une tentative de compréhension et de propositions notable. Véronique Margron ne ‘saute pas sur les premières solutions qui tombent sous la main ». On est tout à fait en droit de ne pas partager ses propositions, mais elles puisent dans des années d’écoute et de proximité avec ces questions… que bien souvent, à l’inverse, nous avons refusé de voir. Et si l’on veut poursuive, je viens de commencer « L’Eglise catholique face aux abus sexuels sur mineurs », de Marie-Jo Thiel, qui est une étude globale.

      Et puis, il ne faut pas non plus s’inquiéter outre mesure de la possibilité de « sauter sur les premières solutions ». Avant qu’un début d’action soit mis en œuvre, des mois se seront écoulés, qui permettront d’approfondir la réflexion.

    • Cela fait plus de vingt ans en France (et plus longtemps encore aux États-Unis) que personne ne saute sur la première solution venue. On ne peut certainement pas dire qu’on ne s’est pas donné le temps de la réflexion.

      Cela dit, je ne dis pas, non plus, qu’il faut simplement faire ce que le public voit comme solutions évidentes (mariage des prêtres, prêtrise pour les femmes, etc.) De tels changements peuvent être envisagés, mais ils semblent surtout correspondre à un point de vue établi de longue date, avant la révélation de ces affaires – l’analogie est évidente avec « le poumon, le poumon, vous-dis-je » (mais… si je peux me permettre, en passant: voir dans tout cela les conséquences de « l’esprit de 68 » ressort d’un état d’esprit au fond très similaire).

      • J’ai mentionné « mai 68 » parce que la question du « pic », s’il était confirmé, y est liée.

        Dans mon texte, la phrase juste après est :

         » Il y a bien d’autres questions à se poser, mais ce n’est pas le lieu d’en faire la liste. »

        Si on voulait bien cesser de me prêter des pensées cachées qui ne sont pas les miennes, ce serait un vrai progrès.

      • Hum. J’avais en mémoire bon nombre de remarques, au fil des ans sur ce blog, pour accuser mai 68 d’être la source de divers maux du monde actuel. Mais ma mémoire est ce qu’elle est, faillible, donc il se peut que ces remarques ne soient pas de vous. Auquel cas, je vous fais mes excuses.

      • Si on voulait bien cesser de me prêter des pensées cachées qui ne sont pas les miennes, ce serait un vrai progrès.

        Avec mes humbles excuses réitérées. Je dois dire que, voyant passer des argumentaires proches, j’ai peut-être tendance à faire parfois des liens trop rapides.

        En ce qui concerne le « pic », je suis en train de lire le livre de Marie-Jo Thiel, L’Eglise catholiques face aux abus sur mineurs, et j’ai tendance à penser que, si pic il y a, sur la période longue, il n’est pas très notable. Les années 70 semblent bel et bien avoir été une période d’augmentation des agressions sexuelles sur mineurs, liée à l’état de la société et à la défense de la « pédophilie » par certains. Mais le phénomène ne semble ni nouveau ni minime auparavant.

  • D’accord pour ces 12 travaux, et oui aux mesures organisationnelles, mais elles auront toujours pour limite les personnes chargées de les mettre en place et de les appliquer.

    Vous écriviez récemment : « L’Eglise est tout de même cette rare institution dans laquelle l’évêque conjugue à la fois l’exécutif, le législatif et le judiciaire. »

    Mais Mgr Barbarin se défendait justement d’avoir bien communiqué à Rome sur les affaires dont il avait eu connaissance: l’évêque concentre-t-il vraiment tous les pouvoirs ?
    Il semble que les textes « législatifs » ne lui manquent pas, pensés à Rome.

    Tant que l’Eglise sera dirigée par l’évêque de Rome, vicaire du Christ -et c’est la volonté du Christ, instituant Pierre pour affermir la foi de ses frères-, alors beaucoup dépendra de cet homme, notamment en cette matière d’abus sexuels.
    C’est le pape qui reverra ou pas l’exercice du pouvoir dans l’Église -en six ans, il a déjà nommé son « C9 », loin d’être décisif en la matière, mais n’a pas (encore ?) promu laïcs ou religieuses à des postes importants.

    Je me répète, mais hélas, le pape actuel ne montre absolument pas un exemple personnel, ni dans le domaine de l’attention aux victimes (à Buenos Aires), ni dans celui de la sanction des prêtres fautifs, Mgr Bergoglio étant lui-même impliqué dans certaines affaires.

    Prions pour le pape.

    Par ailleurs, souvenons-nous de quelques réactions sur ce forum à la lettre de Mgr Vigano l’été dernier.
    Comment osait-il, surtout dans le contexte d’efforts particuliers du pape, alors en Irlande ?
    Certains se concentraient sur la forme de la lettre, sur les intentions réelles ou supposées de Mgr Vigano, plus que sur le fond: le comportement criminel de Mc Carrick, démontré sur une large période, mais non sanctionné.

    Quelques mois plus tard, Mc Carrick a été réduit à l’état laïc.
    Le silence, le cléricalisme, la sacralisation sont aussi dans nos manques d’attention aux dénonciations.

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